Deux épaves du 1er s. retrouvées dans la Saône

En 1996, deux chalands de transport gallo-romains étaient découverts fortuitement lors de fouilles archéologiques dans la Saône. Quelques années plus tard, l’étude de leur chargement de plusieurs centaines de céramiques nous éclaire sur le commerce fluvial à cette époque. Les bateaux ont quant à eux permis d’approfondir nos connaissances en matière de construction navale antique.

Une découverte fortuite :

Les fouilles subaquatiques commencées en 1994 à Chalon-sur-Saône se sont avérées, dès le départ, particulièrement prometteuses. Ces recherches ont rapidement mis en évidence la présence d’un caisson de construction étanche issu d’une technique provenant de l’est de la méditerranée, du Liban notamment. Les recherches sur le terrain ont consisté en six campagnes de fouilles s’effectuant chaque été de 1994 à 2000 auxquelles participèrent aussi bien des archéologues professionnels que des amateurs passionnés, sous la direction de Louis Bonnamour. C’est lors de la campagne de fouilles de 1996 que les deux bateaux qui nous intéressent ici ont été découverts fortuitement, pris dans le remblai sur lequel se trouvait la base du caisson étanche ayant servi à la construction de la pile du pont.

En 1995 la base du caisson avait pu être observée à une profondeur de 6,30m. . La poursuite des fouilles en 1996 dans cette partie du site a révélé la présence d’un niveau de nature diverse. Constitué de cailloux, de sable et de gravier, il renfermait également beaucoup de bois, de brindilles et de nombreux vestiges archéologiques. L’équipe de fouilles fût alors intriguée par cet « affouillement » qui descendait à plus de 11 m. de profondeur, sous la première assise de la pile du pont. Lors des premières prospections, cette zone n’avait livré aucun vestige archéologique. C’est donc postérieurement, après qu’un amoncellement de grosses planches ait été compris comme les restes de deux épaves, qu’une partie des bateaux et les vestiges de leur chargement furent sortis de l’eau.

Coupe de la zone de fouilles redim

Des fouilles à hauts risques :

Il est nécessaire de remarquer la difficulté, voir même la dangerosité d’une fouille subaquatique située en plein chenal navigable à un passage de pont, sur un fleuve où le trafic des péniches de fret est très important. A titre d’exemple, pour l’année 1995, les fouilles et prospections ont nécessité la présence de trois à six plongeurs opérant par roulement sous l’eau et en surface pendant huit semaines. Chaque plongeur effectuait en général deux plongées par jour d’une durée moyenne d’une heure et demi, ce qui représente environ 600 heures de travail subaquatique réalisé soit par des salariés, archéologues ou plongeurs professionnels, soit par des bénévoles. En plus de la péniche Praehistoria (en activité depuis 1978) qui servait de base aux chercheurs,  les fouilles ont nécessité du matériel très spécifique tel qu’une barge aluminium, des embarcations légères, un marteau piqueur hydraulique, des suceuses hydrauliques, des parachutes ascensionnels dont le plus gros atteignait une contenance de 2000 litres…

Il est bien évident que des fouilles se déroulant en milieu subaquatique nécessitent l’emploi de techniques très spécifiques. Certaines d’entre elles sont directement empruntées à l’archéologie sous-marine, discipline plus ancienne et jusqu’à peu beaucoup plus développée que sa consoeur fluviale. Celle-ci fût pendant longtemps victime d’une sous médiatisation complètement injustifiée au vu des découvertes exceptionnelles de ces dernières années. Si les fouilles en milieu marin sont déjà très délicates, les conditions de fouilles en milieu fluvial sont parfois tout aussi compliquées. Le travail de prospection a été réalisé à vue, par des plongeurs effectuant des relevés au fur et à mesure de leur progression dans le fond de la Saône, la plupart du temps au touché. La visibilité en fleuve étant particulièrement mauvaise, les chercheurs s’estimaient heureux quand elle atteignait 60 cm. Ces conditions difficiles ont également été amplifiées par certains risques non négligeables encourus par les plongeurs. Outre les bateaux naviguant sur la rivière, il existait également un risque d’éboulement important dû à l’énorme masse d’enrochements qui se trouvait au-dessus de la zone des épaves. Le ramassage du matériel susceptible d’avoir appartenu à leur chargement a été particulièrement difficile. Le plongeur devait se glisser dans un espace très étroit et instable, entre les deux bateaux et avec la présence menaçante d’énormes blocs de pierres en surplomb.

Coupe au niveau des épaves redim

Des centaines de céramiques :

Les fouilles ont permis de remonter à la surface 934 tessons de céramiques. Une étude minutieuse de tous les tessons a permis d’évaluer le nombre de céramiques à 384 (céramiques de transport et pièces de vaisselles réunies). Les céramiques sont très diversifiées. L’on trouve des bouilloires, des pichets, des marmites tripodes, des pots et des jattes en céramique commune sombre. Les petites cruches à la panse ovoïde sont quant à elles en céramique commune claire, ainsi que les mortiers, de nombreux pots, jattes et couvercles. Toutes les coupes et beaucoup de plats sont en sigillée, céramique d’origine romaine rouge à engobe, très esthétique. Par ailleurs, les cargaisons sont constituées à 35 % de vases de transport, amphores et pots à provisions confondus. Vu les importants dépôts de graines découverts au fond des petites cruches, il se peut que ces dernières aient été utilisées non pas pour leur valeur intrinsèque mais comme outil de stockage et de transport. Certaines ont d’ailleurs conservé leur bouchon de liège. Le transport de denrées alimentaires atteint 52 % contre 48 % pour le commerce de céramiques de table. Les archéologues ont remonté à la surface 157 restes d’amphores. Leur grande majorité est de provenance locale et régionale. Cependant, quelques exemplaires importés figurent également dans les chargements. La part de marchandises d’importation s’élève donc à 33%. D’autre part, des cruches portant des traces de feu, deux gobelets fins, ainsi qu’une lampe à huile magnifique ornée d’un pégase devaient faire partie de l’équipement de bord.

Un lot de tuiles (des imbrices, tuiles plates et des tegulae, tuiles faîtières) relativement conséquent a été retrouvé dans la zone où se trouvaient les chargements des bateaux. Leur très bon état général de conservation et leur proximité laissent penser qu’elles constituaient une partie des chargements. Les cargaisons mixtes étaient monnaie courante à cette époque.

Reconstitution d’un naufrage :

A l’époque gallo-romaine Chalon-sur-Saône, connue sous le nom de Cabillonum, était un point de passage obligé pour le transport fluvial qui empruntait la Saône, l’Arar de l’époque, voie commerciale de première importance pour le commerce local et international.

La plupart des lieux de production des céramiques faisant partie des cargaisons se trouvent dans un périmètre local ou régional. Le port de Cabillonum servait à l’époque de plaque tournante commerciale  pour les produits locaux destinés à l’exportation vers les régions voisines. A la vue de la position des lieux de productions attestés par rapport au site du naufrage, il semble très probable que les bateaux venaient d’embarquer leur cargaison dans le port de Chalon. Les cruches contenaient d’ailleurs des restes de denrées produites localement (des graines et des résidus d’une bière locale).

Les épaves ayant été retrouvées se touchant presque à leur point le plus profond et complètement prises  dans le remplissage de l’affouillement, il apparaît avec une quasi certitude que les deux embarcations ont coulé en même temps, dans un seul et même naufrage. En raison de leur proximité et  de leur positionnement il n’est pas possible de dissocier les deux chargements. Les bateaux étaient sans doute amarrés au port, l’un à l’autre, pour la nuit. Une tempête violente a pu casser leurs amarres. Le drame s’est sans doute joué très rapidement, ne laissant pas le temps au seul marin qui gardait les embarcations de réagir, comme les restes humains trouvés au milieu des céramiques le prouvent.

L’étude des chargements permet de dater le naufrage entre 40 et 60 ap. J.-C.. La date de construction des bateaux reste quant à elle encore indéterminée, les embarcations ayant fait l’objet de réparations et de multiples calfatages. Les deux chalands de transport avaient donc de longues décennies de navigation derrière eux lors de leur dernier voyage.

Cruche

Art. publié dans le n°224  de Subaqua, mai-juin 2009.

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