En Thaïlande, il n’y a pas que les plages paradisiaques de la Mer d’Andaman ou du Golfe de Siam qui valent le détour. Le nord du pays, avec ses montagnes et sa jungle encore sauvage vous réserve des surprises qui méritent bien une petite échappée belle, le temps de quelques jours, loin des hordes de touristes tout coup-de-soleillés de Phuket.
La Région du Triangle d’Or, qui tient son nom de l’époque où ses cultures de pavot approvisionnaient en opium tout le sud-est asiatique, est la région la plus sauvage du pays. Les deux grandes villes sont Chiang Mai et Chiang Rai. Pour s’y rendre, selon votre budget, vous pouvez choisir l’avion ou le train. Il existe évidemment des bus qui font le trajet, mais là il ne faut pas être pressé ! Ma petite préférence va pour le train de nuit Bangkok / Chiang Mai, véritable institution en Thaïlande, qui permet de s’immerger dans la vie quotidienne Thaï tout en « voyant du pays ». La région du Triangle d’Or étant également la plus culturelle, de nombreux tours operator exploitent le filon et à certains moments vous aurez l’impression d’être dans un pays occidental tellement les européens sont nombreux. Mais inutile de vous plaindre, ces voyages de masse font vivre le pays et il ne tient comme toujours qu’au voyageur de trouver des chemins hors des sentiers battus.
Une fois que vous êtes arrivés dans le Nord, prenez un taxi à la journée pour qu’il vous balade sur les routes qui traversent la jungle et les montagnes. Tout au nord de Chiang Rai, vous arriverez à Chieng Kong. De là, alors que vous avez encore les pieds sur le sol Thaïlandais, votre regard embrasse au sud-est le Laos et au nord-ouest la Birmanie. Le Mékong sert de frontière aux trois pays et vous êtes là en plein cœur du Triangle d’or. Le long de la route, de petits villages typiques sans aucun intérêt touristique mais qui sont l’âme de la Thaïlande vous dépayseront à souhait. Le mieux, si vous le pouvez est de passer une nuit à Chiang Rai, où le petit marché de nuit vous donnera un avant goût de celui, légendaire, de Chiang Mai. Ensuite justement, direction Chiang Mai. Cette ville concentre bien toutes les contradictions de la Thaïlande. Magnifique pays, où la culture et la nature se mêlent et vous donne envie d’y retourner s’y souvent. Il suffit de deux jours en Thaïlande pour être imprégné de la douceur de vivre et de la langueur asiatique. Mais c’est aussi un des pays où l’exploitation touristique est poussée à son paroxysme. Si la curiosité vous pousse à faire le tour que tous les circuits organisés proposent, vous n’échapperez pas à la visite des villages de femmes girafes de Mae Hong Son. Les « femmes girafes » de leur vrai nom Pa Dong (« long cou »), font partie de la tribu des Karens Rouges. Originaires de Birmanie, où il y a encore quelques décennies ils vivaient en quasi autharcie, les Karens ont été persécutés par la gente militaire encore au pouvoir dans le pays et ont dû passer la frontière pour venir se réfugier en Thaïlande. Les premiers Karens Rouge avaient emmenés avec eux quelques Pa Dong. L’histoire ne dit pas si c’était parce qu’elles faisaient partie intégrante de la communauté ou si le potentiel touristique d’une telle tradition avait déjà été éveillé en Birmanie. Pour cette tribu en exil ne possédant rien, cette coutume extraordinaire devint un moyen de survivre. Par la suite, l’exil continua et il y a aujourd’hui trois « villages » de femmes girafes dans la région de Mae Hong Son. Les guillemets sont importants car quelque chose, pendant la visite de ces villages, choque le touriste averti qui ne se contente pas de suivre le troupeau. Si la première question qui vient à l’esprit est où sont les hommes ? La seconde vient aussitôt chasser la première : mais en fait où sont les maisons ? Car ce que l’on vous présente comme les « villages des femmes-girafes », ne sont en réalité que les vitrines de leur artisanat. Les villages n’étant en réalité que des magasins de souvenirs à ciel ouvert. Rien de grave à cela, mais pour l’authenticité, on repassera. Je n’ai rien contre les magasins et le shopping en général, bien au contraire, et si seulement elles avaient eu l’air de bien vivre leur métier, j’aurais eu le cœur léger en admirant les étoffes qu’elles tissent à longueur de journée ou les petites statuettes de bois les représentant. Mais seulement voilà, aucune âme ne ressort de ces « villages » si ce n’est une tristesse sous-jacente, à peine concurrencée par un ennui écrasant. Quand deux petites filles de 4 et 5 ans en ont marre de poser pour les photographes amateurs et se mettent à genoux dans la terre battue pour jouer avec un bâton et une bouteille d’eau, il ne se passe pas deux minutes avant qu’un homme (ah bah les voilà !) ne rapplique et ne leur aboie dessus. Une seconde plus tard les petites sont à nouveau bien sagement assises sur leur banc en bambou. Charmant…
Si vous voulez vraiment rencontrer les Karens, il vous faudra vous éloigner des routes toutes tracées et aller derrière le village Pa Dong de Nai Soi, où se trouve un important village de réfugié de plus de 3000 personnes. Et là, vous ne croiserez aucun touriste, et bien moins de femmes girafes !
Un autre grand moment touristique est la procession des moines mendiants, au petit jour. Cette authentique tradition bouddhiste veut que les moines montent en procession le long de la route, par petits groupes et mendient leur nourriture de la journée, puisque leur religion leur interdit la possession, y compris de l’argent. Les Thaïs achètent donc le long du chemin des provisions, des petits sacs de riz, des poissons séchés, des fruits, etc… et les offrent aux moines pieds nus et à genoux devant eux. Cette cérémonie est à la fois touchante et reposante. Le silence étant normalement seulement troublé par les psalmodies graves et discrètes des moines. Oui mais voilà, à moins d’y être à 6 heures du matin, vous aurez droit aux cars de touristes. Et là attention les dégâts ! Certains touristes n’ont malheureusement pas l’air de comprendre que si on « veut faire comme eux », il est mieux vu de le faire bien. Sinon on ne le fait pas du tout. Après tout personne ne nous oblige à faire une offrande, mais si on veut la faire et bien oui, il faut enlever ses chaussures, n’en déplaise à Madame qui trouve que la route est sale et oui, tant pis, elle aura les pieds noirs. Cette cérémonie charmante tourne donc parfois au spectacle sans intérêt. Certaines bandes de touristes arrivant même à faire « fuir » les passants thaïs désireux de réellement faire une offrande…
Heureusement, la Thaïlande est un merveilleux pays plein de ressources, et vous pouvez allé vous consoler en louant un vélo et vous balader tranquillement dans Chiang Mai, vous arrêtant sur les marchés et dans les petits temples les moins connus de la ville. Vous vous laisserez alors bercer par les odeurs d’épices ou les chants bouddhistes qui s’échappent du porche d’un temple. Ne ratez surtout pas le marché aux fleurs, le long du fleuve. Les stands se suivent côte à côte sur plusieurs centaines de mètres où vous trouverez des centaines d’espèces de fleurs coupées différentes ainsi que des plantes tropicales sur pied. Les gerbes d’orchidées de toutes les races et de toutes les couleurs se vendent ici par millier. Vous pouvez choisir toutes les fleurs que vous voulez, sur tous les stands, et vous aurez le plus beau bouquet de votre vie pour quelques baths. Encore mieux, demandez à une vendeuse qu’elle vous prépare un bouquet composé, avec les fleurs et les feuilles de son choix. Avec une telle dextérité que vous aurez du mal à suivre ses mouvements elle vous composera une véritable œuvre d’art éphémère. Vous regretterez alors ne pas prendre l’avion pour la France le lendemain même, et de ne pouvoir donc ramener comme cadeau à toute votre famille ces magnifiques bouquets. Bizarrement, alors que la balade sur le marché aux fleurs émerveille tous les sens, vous y croiserez très peu de touristes.
Dans la même veine mais beaucoup plus fréquentées, les serres à orchidées de la région valent le détour. Nos orchidées Truffaut ou Jardiland à 7,90 € nous font bien souvent oublier que ces fleurs ne sont pas systématiquement roses, blanches ou violettes. Dans les serres thaïlandaises, comme d’ailleurs sur le marché aux fleurs de Chiang Mai, l’on en voit de toutes les formes et de toutes les couleurs. Bleus, rouges, mais aussi vertes, marrons et même noires. Leurs pétales font de quelques millimètres de diamètres, à plusieurs dizaines pour les plus grosses. Bref magnifique balade, dont vous pourrez ramener comme souvenir soit des petits plants d’orchidées en bouteille spécialement conditionnées pour passer la douane, soit des broches, colliers, bracelets ou boucles d’oreilles, en véritable orchidées vitrifiées. Délicates et fragiles, on dirait des fleurs de verre, mais ce sont bien de vrais pétales qui se trouvent sous la fine couche de résine. Bref de quoi achever votre porte monnaie si celui-ci avait réussi à survivre au gigantesque marché de nuit de la veille au soir.
Enfin, difficile de quitter le Triangle d’Or sans avoir fait une ballade à dos d’éléphant. Les éléphants, il n’y a pas si longtemps encore, étaient utilisés pour débarder les troncs d’arbres exotiques dans la jungle. Avec l’interdiction de l’exploitation de la plupart des essences exotiques à l’état sauvage, les éléphants et leur cornaques se sont retrouvés au chômage. Après des années d’extrême pauvreté et d’errance, pendant lesquelles certains cornaques ont été obligés d’abattre leurs éléphants faute d’argent pour les entretenir, les balades pour touristes et les spectacles avec les éléphants se sont révélés une bonne solution pour sauver les cornaques comme les animaux de la misère. Le travail pour les pachydermes est bien moins dur qu’à l’époque où ils devaient débarder des arbres de plusieurs tonnes à longueur de journée. Moyennant quelques baths, vous pourrez les gaver de bananes et de canne à sucre à volonté, pour leur plus grand bonheur. Mais gare à la bave ! Vous en serez couvert. Les camps d’éléphants sont nombreux dans la jungle autour de Chiang Mai et s’ils proposent tous un peu près le même genre de prestations, il faut cependant bien choisir. En effet, certains sont de vrais attrapes touristes, où les éléphants ne sont pas bien traités et où vous vous sentirez plus mal à l’aise qu’autre chose. D’autres au contraire montre une véritable symbiose entre les cornaques et leur éléphant et vous feront profiter d’une belle ballade dans la jungle loin des routes et du bruit.
Vous pouvez enfin compléter votre escapade dans le Triangle d’Or par un petit trek de deux ou trois jours dans la jungle. La balade est un peu sportive car le paysage est très vallonné dans la région, mais quand même accessible au plus grand nombre. Vous vous baignerez dans des cascades magnifiques et dormirez dans des maisons traditionnelles dans de véritables villages des minorités ethniques de la région, uniquement accessibles à pied. N’espérez pas le confort, mais la veillée du soir au coin du feu vous fera oublier les fatigues de la journée.
Vous le verrez, le Triangle d’Or est une région pleine de contrastes, qui vous enchantera sans nul doute, moyennant quelques efforts pour échapper aux sentiers trop fréquentés par les touristes. Et si quelques jours dans le nord de la Thaïlande vous ont donné soif de découvertes, n’hésitez pas à passer du côté Laotien, plus authentique et moins connu, le pays vous réserve bien des surprises. Quand à la Birmanie, qui n’est pourtant qu’à un jet de pierre, la gente autoritaire au pouvoir restreint les déplacements des étrangers. Pour pouvoir vous enfoncer dans le cœur du pays et posséder un visa valable plus d’une journée, il vous faudra forcément arriver par avion à Rangoon. Les villes frontalières avec la Thaïlande, où vous ne pourrez passer qu’une journée ne feront qu’éveiller votre curiosité et l’envie d’un nouveau voyage en Asie du Sud-Est.
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Texte & photos : Heidi Lafeuil